Mon ami le crayon gris

À l’école, quand j’étais enfant, j’étais terrorisé par la dictée. J’étais pourtant l’un des meilleurs de la classe en orthographe. Mais j’avais si peur de ne pas réussir à écrire assez vite que ma main se mettait à trembler, et bientôt je n’arrivais plus à former que des lettres tremblotantes et illisibles. Une fois, la crise fut si grave que la maîtresse dût m’allonger dans un coin de la salle de classe. Les conséquences étaient nulles. Pourtant, pour moi, c’était le drame. Je redoutais des semaines à l’avance le jour fatidique de la dictée.

En fait, pour être plus précis, les problèmes ont commencé au moment où nous avons passé du crayon gris à la plume – une plume de marque « Pelikan » bleue, pour les intimes. C’est un détail maintenant mais à l’époque, c’était l’une des bornes qui marquait une nouvelle étape vers l’âge adulte. Un passage constamment attendu et, une fois atteint, à jamais regretté – vous connaissez la chanson. La plume, c’est du sérieux, parce que l’encre tache si on ne fait pas attention et on ne peut retravailler le texte que par le biais d’un instrument compliqué et salissant: l’effaceur. Autrement dit, plus le droit à l’erreur. Pour un gamin de huit ans, c’est traumatisant.

À côté de la plume, le crayon gris prenait pour moi des allures de paradis perdu (à cause de quel péché originel, je me le demande encore). Un coup de gomme, et les erreurs n’ont jamais existé. Quel pied! C’est la douce joie de la sécurité: le trapéziste a besoin du filet pour réussir son triple salto. Ici, la sécurité, c’est l’assurance que tout est éphémère, parce que la trace de la mine pâlit et finit par disparaître. Même les plus grosses erreurs finissent par s’estomper, s’oublier.

Donc, on me proposa d’écrire au crayon gris et je continuai mes dictées et ma scolarité sans peine. Aujourd’hui, tout ça n’a plus d’importance, et j’écris même au stylo bille, voire au marker indélébile – tellement chus un gue-din! Par contre, j’ai toujours besoin de croire que tout ce que j’écris pourrait être effacé, que rien ne reste gravé, que rien ne reste grave. Voilà pour l’éloge du crayon gris.

5 février 2010. Uncategorized.

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