Un arbre qui ne presse pas sa sève

« La solitude qui enveloppe les oeuvres d’art est infinie, et il n’est qui permette de moins les atteindre que la critique. Seul l’amour peut les appréhender, les saisir et faire preuve de justesse à leur endroit.

À chaque fois, dans toute discussion de ce genre, à l’égard de toute discussion de ce genre, à l’égard de toute recension ou de toute introduction de cet ordre, donnez-vous raison, à vous et à votre sentiment, et si toutefois vous devez avoir tort, c’est la croissance naturelle de votre vie intérieure qui lentement et avec le temps vous conduira vers d’autres conceptions. Conservez à vos jugements leur évolution propre, leur développement calme et sans perturbation, qui, comme tout progrès, doit avoir de profondes racines et n’être pressé par rien ni accéléré. Tout est d’abord mené à terme, puis mis au monde. Laisser s’épanouir toute impression et tout germe d’un sentiment au plus profond de soi, dans l’obscurité, dans l’ineffable, dans l’inconscient, dans cette région où notre propre entendement n’accède pas, attendre en toute humilité et patience l’heure où l’on accouchera d’une clarté neuve: c’est cela seulement qui est vivre en artiste, dans l’intelligence des choses comme dans la création.

Le temps n’est plus alors une mesure appropriée, une année n’est pas un critère, et dix ans ne sont rien; être artiste veut dire ne pas calculer, ne pas compter, mûrir tel un arbre qui ne presse pas sa sève, et qui, confiant, se dresse dans les tempêtes printanières sans craindre que l’été puisse ne pas venir. Or il viendra pourtant. Mais il ne vient que pour ceux qui sont patients, qui vivent comme s’ils avaient l’éternité devant eux, si sereinement tranquille et vaste. »

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

15 avril 2012. Étiquettes : . Uncategorized.

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